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Internet des Objets : Comment la révolution de l’internet des objets a transformé l’apiculture ?

OpenStudio est à l’initiative du projet « Mellia », une ruche connectée mêlant IoT et intelligence artificielle ayant pour objectif de surveiller à distance les conditions de vie des abeilles à l’intérieur et à l’extérieur de leur essaim. Quel intérêt de suivre ses ruches ? Quelles méthodes utilisées ? Quels indicateurs suivre ? Force est de constater que l’internet des objets va transformer le métier d’apiculteur.

Hyménoptère présent sur Terre il y a 60 millions d’année, l’abeille est un insecte social parfaitement adapté à son environnement. Très peu de changement dans son évolution ont été constaté depuis 30 millions d’années. On retrouve des traces de la domestication des abeilles par l’Homme il y a 4500 ans. L’apiculture est un savoir faire ancestral dont les techniques n’ont cessé d’évoluer au rythme des progrès techniques réalisés au cours de l’Histoire.
Aujourd’hui le miel est toujours un produit très plébiscité : « La Consommation de miel en France […] représente 1,3 kilo de miel par seconde soit 40 000 tonnes par an » (“Planetoscope – Statistiques : Consommation de miel en France,” 2021.)

L’innovation : un levier vital face aux contraintes environnementales

Pourtant, depuis le début des années 2000, les abeilles sont menacées par la pression anthropique exercée sur leur environnement. Aux États-Unis, près de 25 % du cheptel a disparu au cours de l’hiver 2006-2007. (“Les abeilles malades de l’homme,” 2007) Ce phénomène a un nom. On parle de syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles (en anglais, « Colony Collapse Disorder » : CCD). Malgré la mobilisation de la communauté internationale ce sujet fait polémique. Pesticides, parasites, prédateurs, changement climatique ou tout à la fois, la cause de cet effondrement n’a pour le moment pas trouvé de consensus au sein de la communauté scientifique. Ces interrogations ont mené le monde de la recherche à imaginer des moyens de mesure de l’activité des ruches pour tenter de découvrir la ou les causes exactes de la préoccupante situation des abeilles. Des balances, des thermomètres et autres accéléromètres ont été employés afin de renseigner au mieux les chercheurs.
Dans les années 2010, la démocratisation d’internet et la montée en puissance des équipements a permis le déploiement du Cloud Computing. Une technologie informatique permettant le stockage décentralisé des données et par conséquent ouvrant la voie à l’Internet des Objets (IOT). Tout les dispositifs de mesure se sont ainsi transformés peu à peu en objets connectés permettant de suivre les ruches à distance.

L’apiculture est une discipline présentant les critères parfaits pour élaborer les objets communicants de demain en répondant à des contraintes fortes. Les ruches sont déployées en milieu hostile à l’électronique. De par les conditions météorologiques mais aussi par la nécessité de rendre les instruments de mesure autonomes en énergie, fiables et consultables à distance. Des paramètres qui soulèvent de nombreuses problématiques techniques.

Quel est l’intérêt de suivre ma ruche ?

« Toute personne ayant déjà ouvert une ruche pour découvrir les abeilles qui l’habitent, sait que les abeilles émettent des sons, exécutent de nombreuses tâches adaptées aux besoins de la colonie, et qu’elles vivent dans un monde riche en odeurs. Ainsi, le concept consistant à observer en temps réel et à distance ces « traces de vie » à l’aide de capteurs électroniques séduit de nombreux apiculteurs ou biologistes de l’abeille domestique. » (LA RUCHE CONNECTÉE : L’ABEILLE SOUS SURVEILLANCE NUMÉRIQUE Decourtye et al., 2019, no. 29)

Lorsque l’on évoque le concept d’une ruche connectée, on peut d’abord se montrer réticent à l’idée de déranger ces apidés avec des gadgets électroniques loin de cette image d’Épinal de savoir-faire artisanal et ancestral. Pourtant, moins on dérange les abeilles et mieux elles se portent. Ainsi tout dispositif permettant d’éviter d’ouvrir la ruche afin de l’inspecter a déjà un effet bénéfique sur celle-ci. De plus, c’est un élément de sécurité permettant à l’apiculteur amateur ou professionnel d’être rapidement informé d’un potentiel risque pour la colonie (manque de nourriture, température trop basse etc).

L’inspection de la ruche routinière remplacée par une solution électronique.

Être apiculteur c’est avant tout un métier de logistique. En effet, il n’est pas rare pour un apiculteur professionnel de placer ses ruches à 300km pour réaliser un miel particulier ou pour accéder à un site particulièrement favorable. « Pour la plupart des apiculteurs professionnels, les frais de déplacement représentent le principal poste de dépenses, environ 40 % des coûts de production » (Aulanier et Ferrus, 2018). C’est donc un réel avantage de pouvoir vérifier l’état de santé de son rucher avant de décider si une intervention est nécessaire ou non et ainsi de prévoir le matériel nécessaire avant d’intervenir (nourriture, cadre de hausses supplémentaires etc)

Pour les scientifiques, suivre une ruche c’est d’abord rechercher une meilleure compréhension du comportement de l’abeille face à son environnement et étudier les mécanismes déployés par celle-ci, pour s’adapter aux différentes contraintes de son milieu. C’est aussi produire des données à mettre en corrélation avec des facteurs environnementaux pour mettre en évidence des effets éventuels de l’activité humaine sur l’environnement et de quantifier ces effets.

Suivre tout au long de l’année une ruche a aussi un usage récréatif. Petit, on se demandait si la lumière restait allumée à l’intérieur du réfrigérateur. Les grands enfants se demandent désormais ce qu’il se passe dans la ruche une fois que l’on a remis le toit en place. Que ce soit un très bon prétexte pour « bidouiller » des cartes électroniques ou pour satisfaire une curiosité pour les insectes on ne se lasse pas de suivre jour après jour la vie de la colonie au travers d’indices tels que le poids de la ruche, sa température interne ou son taux d’humidité.

Comment suivre ma ruche ?

Butinage, essaimage, hivernage, miellée, couvain,… il existe tant de mots pour décrire la riche vie des abeilles tout au long de l’année ! Autant de phénomènes que l’apiculteur averti cherchera à détecter pour savoir au mieux comment se passe la vie à l’intérieur de la colonie.

Mais comment accéder à ces informations et par quels instruments de mesure ?

Les Mesures simples

Balance connectée

Le poids est la plus simple des données à interpréter. En effet, la variation de cette donnée au cours du temps permet de se faire une idée très rapide de l’état de santé de la colonie. Lorsque la tendance est à la hausse, la colonie se développe. L’apiculteur peut alors repérer le début de la miellée, prévoir l’installation de nouvelles hausses et noter la fin de la miellée afin d’organiser la récolte. À l’inverse, si la tendance est à la baisse la colonie se trouve en récession. l’apiculteur sait alors qu’il faut prévoir de nourrir les abeilles. Ces dernières années avec les printemps précoces et les gelées tardives beaucoup d’abeilles se sont retrouvées privées de nourriture : « Le gel tardif a privé les fleurs de nectar du printemps jusqu’en fin d’été » (Une saison catastrophique pour les apiculteurs de Haute-Loire, l’éveil de la Haute-Loire, 2021)

Dans les années à venir, on espère pouvoir prédire la miellée de l’année en fonction des données météo et des premières données de poids remontées au printemps.

Des mouvements de poids irréguliers indiquent également un essaimage, l’apiculteur reconnaissant ce paterne sait qu’il faut intervenir pour récupérer la nouvelle reine prête à s’envoler ou à agir pour empêcher cet essaimage.

Thermomètre et Hygromètre interne

Température

Les abeilles pratiquent la thermorégulation à l’intérieur du couvain qui est maintenu à une température constante de 35°C. (TRAITE RUSTICA DE L’APICULTURE, Yves Leconte, 2015, p54 ). L’hiver, les abeilles se regroupent en grappe pour maintenir le plus possible la température du couvain. La température au cœur de la grappe peut chuter jusqu’à 13°C. Dans ce cas, la colonie est au ralenti et la reine interrompt la ponte. Si la température descend trop brutalement et que les abeilles n’ont pas eu le temps de préparer leur hibernation alors elles courent un danger car la colonie risque de s’épuiser en essayant de maintenir la température de 35°C nécessaire à son fonctionnement. De même en été, si la température interne dépasse les 38°C l’activité de la colonies commence à ralentir. Les abeilles supportent une température de 50°C pendant un court laps de temps.

L’information sur la température est donc primordiale dans les régions tempérées ou la température peut fortement monter ou descendre (région montagneuse, bassin méditerranéen etc).

Des variations de la température du couvain au printemps sont le signe qu’un essaimage se prépare. Les apiculteurs sont attentifs à ces signaux pour agir en temps voulu.(Maîtriser l’essaimage – Outils et techniques pour agir au bon moment, Pons, 2020)

L’hygrométrie

L’humidité à l’intérieur de la ruche est un paramètre important qui est contrôlé par les abeilles elles-mêmes. En effet, des butineuses spécialisées sont chargées d’aller chercher de l’eau pour en donner aux ventileuses, des ouvrières spécialisées dans la thermorégulation de la ruche. (TRAITE RUSTICA DE L’APICULTURE, Yves Leconte, 2015, p71 ). Ce taux d’humidité a une incidence direct sur la qualité des œufs pondus par la reine. En effet, en dessous de 50 % d’humidité les œufs ne parviennent pas à maturité. (Doull, 1976) D’autre part, le miel est hygroscopique, c’est à dire qu’il absorbe très bien l’humidité. Les abeilles le savent bien et le font sécher avant de l’operculer pour pouvoir le conserver. L’eau agit comme un frein à la cristallisation du miel. Par conséquent un miel trop sec aura tendance à devenir solide rapidement. On considère qu’en dessous de 16 % le miel est trop épais pour être consommé. À l’inverse, si le taux d’humidité est trop élevé le miel peut fermenter et devenir impropre à la consommation. D’ailleurs, la réglementation française admet un taux maximum de 20 % d’humidité dans le miel. Pour consommer un miel optimal on choisira des produits dont la teneur en eau se trouve entre 16,5% et 18,5% (“L’humidité du miel,” M. FOUGEROUSSE,2014, L’abeille du Forez no. 74)

Un équilibre s’établit entre l’humidité de l’air ambiant et l’humidité du miel. Voici quelques valeurs pour se donner un ordre d’idée :

Humidité relative de l’air en % Teneur en eau d’équilibre du miel en %
5015.9
5516.8
6018.3
6520.9
7024.2
7528.8

Traceur GPS

Le vol de ruche est un problème de plus en plus récurrent au cours des années. En effet, le prix du miel étant de plus en plus élevé et les ruchers se situant en général dans des endroits isolés, il devient de plus en plus tentant pour les individus malveillants de venir se servir. (“En Isère, les vols de ruches se multiplient chez les apiculteurs,” 2018) Lorsque l’on assure une ruche cela se fait généralement à hauteur de 500€ cela ne couvre donc pas la perte d’exploitation sur l’année. Protéger son rucher peut être une véritable nécessité si des vols ont été recensés dans la région. Des solutions de trackers intégrés aux cadres existent. Discrets, ils s’intègrent dans les cadres ou dans le fond de la ruche et permettent d’alerter le propriétaire en cas de mouvement anormal de la ruche.

Les Mesures complexes

Compteur d’abeilles

Les compteurs d’abeilles sont des systèmes d’acquisitions, vidéo pour la plupart, qui se placent à l’entrée de la ruche. L’objectif est de compter le nombre d’entrées et de sorties réalisées par les abeilles au cours de la journée, à l’aide d’algorithme statistique afin de fournir des informations sur la population de la ruche. On peut également observer l’activité au cours de la journée et suivre le travail des butineuses. De nos jours, on intègre des technologies d’intelligence artificielle pour tenter de détecter le varroas : un parasite se nourrissant du tissu adipeux de l’abeille. Un exemple de compteur d’abeilles en action mis en place par l’INRA (https://www6.paca.inrae.fr/abeilles-et-environnement/Ressources/Compteur-d-abeilles).

Capteur de vibration

Le langage des abeilles se compose de phéromones (messages chimiques), de mouvements et de vibrations. Des capteurs sont à l’étude afin d’analyser le comportement de la ruche en analysant ses vibrations. L’idée serait de pouvoir par exemple prédire les essaimages en percevant le chant de la reine : une vibration émise par les reines prétendantes afin de se rencontrer et de se combattre pour gagner la succession de la ruche. (Ferrari et al., 2008) Dans les années à venir ces capteurs pourraient bien devenir de plus en plus présents. Les capteurs de vibrations sont bon-marchés et les algorithme d’intelligence artificielle pourrait grandement améliorer la fiabilité des résultats.

Les limites de l’instrumentation des ruches

Aujourd’hui si des solutions de suivis des ruches existent, elles ont néanmoins un coût qui peut freiner l’apiculteur à s’en servir. On sait que 40 % des coûts de production sont liés au transport (Aulanier et Ferrus, 2018) par conséquent l’achat d’une balance qui permet de consulter une ruche à distance est justifiée. Mais cette justification est valable pour le rucher entier. Ainsi seules quelques abeilles peuvent se vanter d’habiter une ruche connectée. L’apiculteur se contentant d’observer l’évolution d’une ruche seule témoin pour l’ensemble d’un rucher.

D’autre part, les apiculteurs sont parfois réticents à acquérir ce genre de matériel n’étant pas familier avec les sites internet, les clouds, les protocoles radio et autre technologies numériques 4.0. De plus, l’abondance d’indicateurs techniques rend parfois le message opaque pour quelqu’un habitué à travailler à l’œil depuis de nombreuses années.

À l’heure actuelle, rares sont les fabricants à proposer une solution complète (balance, thermomètres hygromètre, gps, météo etc.) pour accéder à l’ensemble des informations l’utilisateur doit souvent passer par plusieurs plateformes, plusieurs technologies et tout cela peut vite se transformer en une usine à gaz.
Cependant, si l’internet 3.0 a permis d’élaborer les objets connectés permettant d’acquérir des données sur les ruches, la recherche se tourne maintenant vers l’internet 4.0 et l’introduction d’algorithmes d’intelligence artificielle dans la chaîne de traitements des données. À travers ces nouvelles technologies, ingénieurs et chercheurs souhaitent proposer plus de clarté sur les informations mesurées mais aussi détecter des signaux faibles caractéristiques d’un comportement atypique au sein de la colonie. L’objectif final étant de pouvoir produire des alarmes et des interprétations explicites pour l’utilisateur.(Lemière et al., 2021)

Mellia : Vers une solution complète, du capteur jusqu’à l’IA

Un boîtier étanche IP68 et un support de balance en acier sont utilisés pour résister aux intempéries

Sensibles à la protection des abeilles et désireux de mettre nos compétences en IA et IoT (Internet Of Things) au service de l’environnement, nous développons la solution « Mellia » au sein d’OpenStudio. « Mellia » est une ruche d’un nouveau genre qui permet à un apiculteur de récolter des données optimisées sur la santé de ses abeilles sans avoir besoin de se déplacer, ni de les déranger. Un gain de temps considérable pouvant entraîner des interventions immédiates sur le site dès que les données le suggèrent.

Derniers réglages avant l’installation du premier kit IOT Mellia.

Nous proposons un kit IoT, que nous adaptons sur des ruches de type Dadant 10 – le modèle le plus accessible et répandu aujourd’hui en France – , composé d’une balance connectée, d’une sonde et d’un capteur qui mesurent la température et l’humidité, à l’intérieur et extérieur de l’essaim, et enfin d’un capteur de pression de l’air. La tâche n’est pas aisée car le dispositif placé en pleine nature ne peut compter que sur ses propres réserves d’énergie et doit résister aux intempéries en tout genre. L’étanchéité des composants est un challenge important que nous tentons de relever.

L’interface web Grafana fournit une représentation graphique des données remontées.

Nous souhaitons aussi fabriquer des balances, sondes et capteurs qui ne nuisent pas au mode de vie des abeilles. Comme autre défi, nous
entreprenons également de développer à terme de nouveaux capteurs destinés à mesurer la pollution, le changement climatique, l’apparition ou le développement de nouveaux prédateurs au sein de la ruche. Enfin, nos solides compétences en intelligence artificielle permettent de traiter et analyser les données récoltées. L’objectif est de créer de la valeur sur des données collectives issues de toutes les ruches.

Conclusion :

La forte demande du marché multipliée par la surmortalité des abeilles et les contraintes environnementales de plus en plus fortes, exigent une exploitation optimisée des cheptels de ruches. Aujourd’hui les progrès techniques permettent d’obtenir les informations pour protéger les abeilles et pour démultiplier le nombre de ruches en réduisant leur temps de maintenance via l’accès à des informations sur leur état de santé toujours plus rapide. Des idées innovantes développées ces 10 dernières années ont permis d’ouvrir la voie à une pratique de l’apiculture moderne basée sur des données quantifiables. Aujourd’hui ces données deviennent vitales car le changement climatique rend les saisons imprévisibles et l’exploitation demande de plus en plus de réactivité. L’objectif de l’apiculture connectée de demain est donc de proposer des produits toujours plus fiables et surtout de démocratiser l’usage de ces outils dans l’objectif de protéger au mieux les abeilles, et de produire un maximum de miel local porteur des traditions apicoles du riche terroir de nos régions.